Chères lecteurs,
Cet article est d’abord paru dans Panorama légal sur la CPI, un bulletin juridique régulier produit par Women’s Initiatives for Gender Justice, une organisation internationale pour les droits des femmes qui milite pour la justice pour les femmes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et qui travaille avec les femmes les plus touchées par les situations de conflit sous enquête par la CPI. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et les opinions de l’Open Society Justice Initiative. Pour lire la version intégrale du bulletin juridique Panorama légal sur la CPI, cliquez ici.
Le 29 mars 2011, dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, la Chambre de première instance I a demandé aux parties et aux participants de soumettre leurs observations quant à la procédure à adopter relativement à l’article 70 du Statut de Rome.[i] Cet article concerne les atteintes à l’administration de la justice ; la sous-section (1)(c) traite notamment des atteintes suivantes : « [s]ubornation de témoin, manoeuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement, représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d’éléments de preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments ».[ii] La demande fait suite à une enquête de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins qui a soulevé le problème de menaces directes et indirectes que des victimes auraient proférées envers des témoins de la Défense durant les procédures. Les détails de l’enquête de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins n’ont pas été rendus publics. La Chambre a ordonné aux parties et aux participants de soumettre des observations relatives à l’organe de la Cour, ou à l’organe externe, qui devrait mener des enquêtes en vertu de l’article 70. L`accusation, la Défense et les Représentants légaux des victimes ont présenté leurs observations le 1er avril 2011. C’est la première fois que l’article 70 est visé par une procédure de la CPI.
Les Représentants légaux des victimes (RLV)[iii] ont été les premiers à répondre, fournissant des observations détaillées sur les différentes options de la Chambre. En ce qui concerne la compétence de la Cour, ils ont relevé que la Chambre avait le pouvoir de l’exercer en la matière ou qu’elle pouvait la référer à un État Partie, en prenant en considération sa compétence et son expérience relative à ce type d’infraction. Si la Cour décide de déléguer son autorité en la matière à un État Partie, les observations suggèrent à la Cour de considérer attentivement les éléments contenus dans la règle 162(2)[iv] ainsi que l’impact potentiel sur les victimes et les témoins d’une telle délégation. Les RLV ont aussi recommandé de suivre une procédure similaire à celle du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et à celle du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour mener des enquêtes sur ce type d’infraction. La procédure du TPIY et du TPIR contraste avec le cadre légal de la CPI en prévoyant que la Chambre peut demander au Greffier de désigner un amicus curiae provenant d’une partie ou d’un organe indépendants. Cette option empêcherait toute possibilité de conflit d’intérêts du Bureau du Procureur.
Dans ses observations,[v] l’Accusation a affirmé être le seul organe de la Cour que le Statut autorise à mener des enquêtes, y compris pour des infractions en vertu de l’article 70, tel que le prévoit expressément la règle 165 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour. En ce qui a trait au rôle du Greffe, l’Accusation a soutenu que ses seules responsabilités concernaient « les aspects non judiciaires de l’administration et du service de la Cour ».[vi] Elle a aussi affirmé que dans un cas de conflit d’intérêts, elle pouvait créer des divisions internes au sein du Bureau aux fins des enquêtes relatives à l’article 70.
La Défense[vii] a reconnu qu’il incombait au Bureau du Procureur de mener des enquêtes, y compris pour les atteintes à l’administration de la justice, comme prévu par les règles 163 et 165. Elle a toutefois insisté sur le conflit d’intérêts potentiel et sur la nécessité de désigner un enquêteur indépendant pour conduire les enquêtes relatives à l’article 70, car ces dernières requièrent que des témoins de la Défense soient interrogés par l’Accusation, un organe opposé à la thèse de la Défense. La Défense a soutenu qu’une telle enquête pourrait nuire à l’impartialité et à l’équité du procès. Par conséquent, elle a réitéré sa recommandation selon laquelle un enquêteur indépendant devrait mener les enquêtes sur les atteintes potentielles, de façon similaire aux procédures contemplées par les tribunaux ad hoc.
Au moment de cette publication, la Chambre de première instance n’a pas rendu sa décision sur la question.
Lire les observations des Représentants légaux des victimes, de l’Accusation (en anglais), et de la Défense.
[i] ICC-01/04-01/06-2716 première note en bas de page ; la demande d’observations a été faite dans le courriel qu’un juriste de la Chambre a adressé aux parties et aux participants.
[ii] Article 70(1)(c) du Statut. L’article 70(1) contient une liste détaillée de violations qui relèvent de la compétence de la Cour, en insistant sur les violations commises intentionnellement.
[iii] ICC-01/04-01/06-2714.
[iv] Les facteurs à considérer selon la règle 162(2) incluent notamment : la disponibilité et l’efficacité des moyens de poursuite dans l’État Partie ; la gravité de l’atteinte commise ; la possibilité de joindre les charges visées à l’article 70 avec celles qui sont visées aux articles 5 à 8 ; la nécessité de diligenter la procédure ; les liens avec une enquête en cours ou un procès porté devant la Cour ; et les questions relatives à l’administration de la preuve.
[v] ICC-01/04-01/06-2716.
[vi] ICC-01/04-01/06-2716 par 4 faisant référence à l’article 43(1).
[vii] ICC-01/04-01/06-2715.