Plus de cinq ans après l’arrestation de l’ancien chef de guerre congolais Thomas Lubanga Dyilo et deux ans et demi après le début de son procès à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI) a abordé un tournant décisif lorsque le vendredi 26 août 2011, une chambre de trois juges, présidée par le juge Adrian Fulford a officiellement mis fin à la phase procès de la première affaire portée devant la CPI, après présentation des conclusions de toutes les parties. Le procès en est maintenant à sa dernière étape – les juges vont se retirer pour commencer leurs délibérations en vue de prononcer un jugement final « dans un délai raisonnable. »
Les procureurs allèguent que M. Lubanga est coupable des crimes de guerre de conscription, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour combattre dans la région de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC). M. Lubanga a rejeté ces allégations.
A la suite des observations faites le jeudi par l’Accusation et les représentants des victimes, l’avocat de la défense de M. Lubanga a présenté ses conclusions le vendredi, faisant remarquer aux juges que les procureurs n’avaient pas prouvé leur accusations contre le prévenu. M. Lubanga a aussi fait une brève déclaration avant la clôture de l’audience par le juge Fulford.
Deux avocats de la défense se sont partagé équitablement les deux heures qui leur ont été allouées et ont encouragé la Chambre à acquitter l’accusé faute de preuve, et pour des raisons formelles et juridiques.
L’avocat principal de la défense Catherine Mabille qui a été la première à prendre la parole, a rappelé les cinq ans et demi que M. Lubanga avait passés sous la garde de la Cour et a déclaré que la « l’interminable procédure » contre M. Lubanga avait été caractérisée par « de graves dysfonctionnements » de la part de l’Accusation.
Mme Mabille a maintenu que la question posée à la Cour était de savoir « si les preuves correspondaient aux charges », et a consacré une grande partie de son heure à faire valoir que les preuves de l’accusation n’étaient pas valables.
Elle a insisté sur le fait que les témoins à charge – neuf anciens enfants-soldats présumés – avaient menti à la Cour, arguant que huit d’entre eux n’avaient jamais servi dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) – l’aile militaire de l’Union des patriotes congolais (UPC) – et que le neuvième n’avait rejoint les FPLC qu’en 2003, et avait menti sur son âge.
Expliquant pourquoi il était possible que tant de témoins aient menti à la Cour, Mme Mabille a fait valoir que « dans les situations post-conflit, certains individus pourraient être séduits par la perspective de gagner un certain avantage », comme de l’aide financière, des opportunités en matière d’éducation, ou même la réinstallation en un autre lieu organisée par la Cour.
Elle a ajouté que les témoins à charge ont menti « parce qu’on leur avait demandé de mentir », rappelant l’argument de la défense selon lequel les intermédiaires travaillant pour le compte de l’accusation avaient coaché des témoins dans la fabrication de témoignage.
Mme Mabille a allégué que, bien que « le danger de faux témoignage existe dans tous les tribunaux du monde entier » – et bien que les témoignages dans ce procès aient atteint un degré de mensonge « inégalé » ailleurs – le plus grand danger dans le procès de M. Lubanga avait été le Bureau du Procureur lui-même. Mme Mabille a ainsi rappelé la motion pour abus de procédure présentée par la défense et a invité les juges à affirmer le droit de M. Lubanga à un procès équitable.
Elle a précisé que la défense n’a pas accusé les procureurs d’avoir intentionnellement encouragé les témoins à mentir, mais a insisté sur le fait que le gouvernement congolais, par le biais de divers intermédiaires non membres du personnel de la CPI qui ont aidé l’Accusation à identifier les témoins, avait créé ce problème devant la Cour. Elle s’est demandé comment un accusé pouvait avoir un procès équitable lorsque des intermédiaires de la Cour étaient en même temps des agents de l’Accusation et des agents du gouvernement de Laurent Kabila, se référant ainsi au président de la RDC.
Dans le même temps, la défense a accusé les procureurs d’incompétence flagrante, en faisant remarquer que M. Ocampo avait lui-même admis qu’il n’a jamais vérifié l’âge de ses témoins parce qu’il n’avait pas envisagé la possibilité qu’ils pourraient lui avoir menti. Réprimandant l’Accusation pour son manque de perspicacité, Mme Mabille a rappelé à la Cour que le procureur est chargé d’enquêter tant sur les preuves à charge que sur celles à décharge.
Malgré les « maigres ressources » de la défense, Mme Mabille a insisté sur le fait que son équipe avait enquêté sur l’âge des témoins à charge et appris qu’ils étaient en fait plus âgés qu’ils ne l’avaient prétendu. Une telle découverte a eu un impact sur la fiabilité des éléments de preuve présentés par l’Accusation, preuves qui, de l’avis de la défense, étaient totalement « viciées ».
Mme Mabille a conclu en laissant entendre que l’Accusation « ne peut pas sérieusement prétendre avoir prouvé » la culpabilité de M. Lubanga delà de tout doute raisonnable.
Un autre avocat de la défense, M. Jean-Marie Biju-Duval a ensuite cherché à requalifier M. Lubanga comme un simple dirigeant politique, et comme celui qui s’est activement opposé à l’inclusion d’enfants dans les rangs des soldats.
S’insurgeant contre l’affirmation selon laquelle M. Lubanga était individuellement responsable des crimes dont il était chargé en tant que co-auteur, M. Biju-Duval a fait valoir que les commandants des FPLC M. Floribert Kisembo et M. Bosco Ntaganda avaient déjà organisé des forces armées dans la région de l’Ituri avant la nomination de M. Lubanga comme président de l’UPC à l’automne 2002. M. Ntaganda, qui est actuellement en fuite, fait aussi l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour des crimes présumés commis dans la région de l’Ituri en RDC.
M. Lubanga n’avait pas été nécessaire en tant que tel pour jouer le rôle que les procureurs l’accusaient d’avoir joué. Selon M. Biju-Duval, M. Lubanga avait seulement été destiné « à jouer un rôle dans les activités politiques qui se déroulaient à cette époque », et les soldats rebelles UPC avaient seulement besoin « d’être représentés par un leader politique en qui ils avaient confiance. »
Il a ensuite fait valoir que M. Lubanga avait été commandant en chef de l’UPC « uniquement en vertu des règlements de l’ [UPC] », alléguant que M. Lubanga n’avait pas exercé de « contrôle effectif » sur les forces armées. La défense a demandé à la Cour de croire que M. Lubanga n’avait pas le « pouvoir effectif d’imposer sa volonté » sur les forces armées.
M. Biju-Duval a souligné l’engagement volontaire de nombreux jeunes dans les forces armées, laissant entendre « dans tout conflit où les gens se soulèvent contre leurs oppresseurs » il y a le risque que des jeunes de moins de quinze ans veuillent rejoindre les forces armées.
Il a ensuite cherché à établir que les efforts fournis par M. Lubanga en vue de la démobilisation des enfants-soldats avaient été sincères. Faisant remarquer que les ordres de M. Lubanga n’avaient été donnés que dans le cadre de la communication interne, M. Biju-Duval a rejeté l’argument de l’Accusation selon lequel ces ordres n’avaient été émis qu’« à des fins de relations publiques » et déploré le fait que les souhaits de M. Lubanga n’aient pas été suivis d’effet en raison de « certaines difficultés et réticences dans la pratique. »
M. Biju-Duval a conclu en faisant valoir qu’« aucun mot, aucun document » ne peut prouver que M. Lubanga est coupable des crimes dont il est accusé, et en affirmant avec force que « nous ne pouvons pas condamner ou déclarer coupable quelqu’un qui s’est toujours opposé à la participation de mineurs aux conflits armés. »
Tout au long des deux heures et demie qu’a duré la séance, M. Lubanga a maintenu l’attitude stoïque qui a caractérisé sa présence à ces nombreuses audiences. Quand il s’est finalement levé pour parler en son nom propre, il a lu, les poignets croisés à la taille, un bref exposé écrit en français et préparé à l’avance.
Remerciant les juges pour l’occasion, M. Lubanga a expliqué qu’il souhaitait « exprimer ses sentiments » à la suite et sur la base de tout le procès, déclarant qu’il lui avait été « impossible » de se reconnaître dans le portrait tracé par l’Accusation.
Bien que reconnaissant avoir assumé le rôle de dirigeant dans la province de l’Ituri pendant la période couverte par les accusations portées contre lui, M. Lubanga a affirmé l’avoir fait dans « le seul but de protéger ce qui est le plus cher à tout homme, à savoir la vie. » M. Lubanga a ainsi fait écho au portait que M. Biju-Duval a tracé de lui, non pas comme un criminel de guerre mais comme un homme qui s’était levé pour défendre un peuple opprimé.
M. Lubanga a conclu sa brève allocution en déclarant : « Aujourd’hui, je m’en remets à la sagesse de votre auguste tribunal. » Ce faisant, il a manifesté le comportement respectueux qu’il a toujours eu tout au long de son procès, un respect en contraste marqué avec l’attitude et le comportement des autres suspects internationaux qui ont subi un procès à La Haye.
Concluant, le juge président Fulford a fait preuve du tact de gentleman qui a toujours caractérisé la façon dont il a dirigé les audiences. Il a d’abord remercié les sténographes et les interprètes, qualifiant d’« héroïques » leurs contributions au cours des deux derniers jours, et a ensuite reconnu les efforts extraordinaires des avocats des deux équipes, y compris ceux qui n’ont jamais parlé en audience publique, mais ont néanmoins abattu un travail de titan dans les coulisses.
Le juge président Fulford a rappelé à l’assemblée que les Règles de la Cour exigent seulement que la Chambre annonce sa décision « dans un délai raisonnable », ajoutant – avec bonne humeur – que lui et ses collègues n’allaient pas faire d’estimation, car « ce procès a montré qu’on va sûrement se tromper. »
Sur ces mots, les juges sont sortis par la porte arrière, et les huissiers ont accompagné M. Lubanga à sa sortie de la salle d’audience et jusqu’au Quartier pénitentiaire de la CPI à proximité de la côte de La Haye. Là, M. Lubanga attendra un jugement qui, qu’il soit reconnu coupable ou acquitté, fera sans aucun doute l’objet d’appel.
Ce rapport a été préparé par Jeffrey Pierce (Stanford Law School) et Alpha Sesay.