La Cour pénale internationale (CPI) a rendu son premier jugement aujourd’hui – un jalon déterminant sur la voie de la reddition de comptes.
Dans le jugement d’aujourd’hui, les juges ont estimé que Thomas Lubanga était le président de la milice connue sous le nom d’Union des patriotes congolais/Forces patriotiques pour la libération du Congo (UPC / FPLC) dans la région orientale de la République démocratique du Congo au cours du conflit armé non-international de septembre 2002 au 14 août 2003.
Le jugement a fait plusieurs constatations historiques. Les chefs d’accusation concernaient la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants dans des conflits armés. Le fait que le premier jugement de la CPI concerne les enfants-soldats attire davantage l’attention sur la nécessité de protéger les groupes vulnérables à risque en temps de guerre. La CPI se base sur la jurisprudence de tribunaux antérieurs des Nations Unies tels que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone lors qu’elle constate qu’il y a crime d’utilisation d’enfants soldats dès que l’enfant rejoint le groupe armé – « avec ou sans contrainte. » Cela crée un seuil élevé d’interdiction de toute utilisation d’enfants dans les forces combattantes, même quand les familles ou les enfants eux-mêmes peuvent sembler être en faveur de la participation de l’enfant en raison de circonstances coercitives de conflit armé.
De même, le jugement a établi un seuil élevé pour la protection des enfants qui ont un rôle « indirect », comme des enfants qui pourraient être forcés de se livrer à des tâches domestiques ou des activités générales de soutien généraux qui peuvent ne pas inclure le port d’armes. Les juges ont conclu que, dans de telles circonstances, la question est de savoir si l’enfant a été exposé à un « danger réel comme cible potentielle. » En conséquence, les juges ont trouvé que « le soutien de l’enfant et ce niveau de risque indirect » signifie qu’un enfant peut être activement impliqué dans les hostilités, même s’il est absent du lieu immédiat du conflit.
Les juges ont également accordé une attention particulière à l’expérience des filles soldats. Le procureur n’avait pas spécifiquement porté l’accusation de violences sexuelles et de viol. Pendant le procès, la chambre d’appel a rejeté une tentative par les victimes participant au procès de modifier les charges pour y inclure les crimes sexistes. Toutefois, dans le cadre de la présentation de preuves, des témoins ont soulevé la question de l’utilisation des filles dans le travail domestique et l’abus des filles et des femmes comme esclaves sexuelles. Cela souligne le risque toujours répandu de la violence sexuelle pendant les conflits et la nécessité de la vigilance dans les enquêtes sur tous les crimes possibles, en particulier les crimes contre les femmes.
C’est un progrès énorme que les victimes, y compris les anciens enfants soldats, aient pu être directement impliquées dans le procès. La Cour pénale internationale a été le premier tribunal à inclure une telle participation de la victime dans son Statut. Au cours du procès, 129 victimes ont participé en présentant des observations devant les juges, en cherchant à introduire des éléments de preuve, et en interrogeant les témoins. Trois victimes ont elles-mêmes comparu à la barre en tant que témoins.
Des inquiétudes ont été exprimées au cours du jugement sur le « manque de surveillance adéquate » du procureur concernant son travail avec des intermédiaires. Les intermédiaires sont des collaborateurs non-membres du personnel de la Cour qui peuvent coopérer avec la Cour dans la mise en œuvre de divers aspects de son travail, et peuvent éventuellement inclure des gens comme les travailleurs humanitaires ou des observateurs locaux des droits humains qui sont familiers avec l’environnement local. Ils ont aidé la CPI dans une série de questions, y compris l’assistance aux victimes dans la participation à la procédure, et dans d’autres affaires devant la CPI, les juges ont été « conscients de l’importance de leur rôle. » Il est logique qu’un tribunal international basé en dehors du pays faisant l’objet d’une enquête – un tribunal couvrant l’ensemble des 120 pays qui ont accepté la compétence de la Cour et qui a quinze affaires en cours dans sept pays – ait besoin d’assistance des populations ou des organisations locales. Les intermédiaires facilitent des activités telles que la localisation ou la communication avec les témoins ou les victimes en particulier dans les endroits sans couverture en téléphonie mobile ou accès au transport.
Cependant dans le jugement rendu aujourd’hui, les juges ont conclu que le procureur « n’aurait pas dû déléguer ses responsabilités en matière d’enquête aux intermédiaires comme analysé dans le jugement, malgré les grosses difficultés sécuritaires auxquelles il avait à faire face. » Les juges ont indiqué qu’il était possible que trois intermédiaires du procureur aient eux-mêmes commis un crime en vertu du Statut de la CPI en facilitant potentiellement la présentation de fausses preuves par des témoins. Les éléments de preuve provenant de l’interaction avec ces intermédiaires n’ont donc pas été examinés.
La Cour a tiré de nombreuses leçons et l’an dernier a compilé une ébauche de lignes directrices sur les intermédiaires. Ce projet de directives est actuellement en cours de finalisation par la Cour et d’examen par les pays qui ont accepté la compétence de la CPI, et qui sont connus sous le nom d’Assemblée des États Parties. Open Society Justice Initiative invite instamment la Cour et les États parties à appliquer les leçons tirées du jugement de Lubanga en adoptant les directives sur les intermédiaires à la prochaine session de l’Assemblée des États Parties en novembre.
La Cour entre maintenant dans la phase de la détermination de la peine et des étapes de la réparation. Après traduction du jugement en français pour la défense, une audience séparée se tiendra. Les juges ont également demandé des observations de l’Accusation, de la défense, et des victimes en ce qui concerne la façon dont l’examen des réparations éventuelles devra s’effectuer. Ce sera la première fois que la question des réparations sera abordée à la CPI.