Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’IRRI ou celles d’Open Society Justice Initiative.
Le 14 mars, la Cour pénale internationale (CPI) a rendu public son premier verdict, dans le cadre de l’affaire du chef de milice congolais Thomas Lubanga. Alors que le verdict a été salué comme une étape importante pour la justice internationale, il a également mis en exergue l’énormité du défi permanent que constitue la lutte contre l’impunité permanente en matière de crimes internationaux en République démocratique du Congo (RDC). Un certain nombre d’ONG ont saisi l’occasion pour appeler à une enquête plus approfondie et l’engagement de poursuites judiciaires pour les cas qui ne peuvent pas être traités par la CPI, par exemple, à travers la création d’un tribunal hybride.
Une question qui a suscité une attention particulière est le cas de Bosco Ntaganda. Ntaganda a été accusé avec Lubanga pour le rôle qu’il a joué dans l’organisation de l’Union des patriotes congolais (UPC) et de son aile militaire ainsi que dans la conscription d’enfants soldats. Malgré le mandat d’arrêt de la CPI, Ntaganda a continué à opérer ouvertement dans le Nord-Kivu, où il est maintenant général des forces armées de la RDC. Suite à son engagement avec les rebelles de l’UPC en Ituri, Bosco Ntaganda est entré au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un mouvement rebelle, alors dirigé par Laurent Nkunda. En 2009, Ntaganda a pris le contrôle du CNDP et a signé un accord de paix avec le gouvernement de la RDC, acceptant d’intégrer ses forces dans l’armée nationale.
D’après les recherches effectuées par l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (International Refugee Rights Initiative Rights Initiative) et l’Association pour la promotion et la défense de la dignité des victimes (APRODIVI), chez les communautés de l’Ituri, il est clair qu’il y a une exigence de reddition de comptes pour Ntaganda (aux côtés de M. Lubanga). Les personnes interrogées ont exprimé leur frustration due au manque de cohérence dans la position du gouvernement qui a annoncé son intention de sévir contre l’impunité tout en justifiant le refus de livrer Ntaganda par le fait qu’il était essentiel pour assurer la paix et la sécurité dans la région. Selon un militant, le fait de n’avoir pas arrêté Ntaganda jusqu’à présent semblait « en contradiction avec la promesse [du gouvernement] de coopérer avec la Cour pénale internationale … de nombreuses voix continuent de s’élever pour réclamer que le gouvernement congolais remplisse ses obligations envers la Cour ». Les ituriens ont déploré le fait que la non arrestation de Ntaganda lui a permis de continuer à « faire ce qu’il a toujours fait » dans les Kivus. Un groupe d’experts des Nations Unies chargés d’évaluer l’exploitation minière au Congo ont noté que Ntaganda est « directement impliqué » dans l’exploitation illégale des minerais.
Depuis le verdict Lubanga, les ONG, le procureur de la CPI, et les membres de la communauté internationale appellent à l’arrestation de Ntaganda. Le Procureur de la CPI a déclaré à la presse que dans les six ans depuis l’émission du mandat d’arrêt, Ntaganda était devenu « le chef de l’une des milices les plus dangereuses des deux Kivu [provinces], et aurait commis des viols de masse. Il ne peut pas être général de l’armée de la RDC. Il est temps qu’on l’arrête » Le Procureur a déclaré qu’il allait se rendre en RDC pour parler de cette question directement avec le gouvernement congolais. Le Procureur a également indiqué qu’il chercherait à ajouter des charges supplémentaires contre Ntaganda reflétant d’autres crimes qui auraient été commis dans le Nord et le Sud-Kivu après son départ de l’UPC.
L’appel du Procureur a été rapidement repris par les représentants de la communauté internationale. Lors d’une visite en RDC en fin mars, selon Jeune Afrique, le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders a déclaré aux médias qu’il avait soulevé la question avec le chef de l’Etat congolais. L’ambassadeur américain James Entwistle a ajouté sa voix à l’appel, explicitant ainsi la position du gouvernement des Etats-Unis le 5 avril: Ntaganda devrait être arrêté et remis à la CPI.
Bien qu’il soit beaucoup plus difficile à des organisations locales de s’exprimer sur ces questions, certaines ont eu le courage de le faire. Une militante de ces organisations Justine Masika Bihamba, a selon l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, donné une interview à la BBC le 15 mars, en réaction au verdict Lubanga et appelant à l’arrestation de Bosco Ntaganda. Après l’interview, Mme Masika a déclaré avoir reçu un certain nombre de menaces. Un professeur congolais de droit international, le professeur Tshibangu Kalala a également pesé dans le débat national en faisant valoir sur Radio Okapi que si le gouvernement voulait éviter d’envoyer Ntaganda à la CPI, il devait « communiquer avec le Conseil de sécurité et expliquer pourquoi » peut-être dans le but d’obtenir un report de l’affaire comme prévu à l’article 16 du Statut de Rome.
Les organisations internationales sont également actives. Human Rights Watch a tenté de plaider pour l’arrestation de Ntaganda avec une vidéo de six minutes détaillant certains des crimes que Bosco est soupçonnée d’avoir commis après l’émission du mandat d’arrêt contre lui., En particulier en continuant le recrutement forcé, le viol, et en se livrant à un massacre à Kiwanja, dans lequel environ 150 personnes ont été tuées en 2008. Le projet Enough a également publié une note d’information attirant l’attention sur les crimes actuels de Ntaganda. Ce plaidoyer a peut-être une influence sur les débats au Congrès des États-Unis où la législation est actuellement débattue pour permettre au gouvernement des États-Unis, même si ce pays n’est pas membre de la CPI, d’offrir une récompense pour l’obtention de renseignements utiles menant à l’arrestation de suspects recherchés par la Cour.
Le gouvernement a tout d’abord répondu à toute cette pression avec ses arguments habituels : Ntaganda n’a pas pu être arrêté parce qu’il était essentiel à la paix dans l’Est du Congo. She Okitundu, un ancien conseiller de Kabila, a averti que « Bosco Ntaganda sera arrêté tôt ou tard … mais c’est au chef de l’Etat, dans l’intérêt du pays, de décider quand et comment. La situation dans le Kivu est maintenant explosive et la priorité est d’éviter une nouvelle guerre » L’Honorable Louis Kyaviro, un parlementaire du Nord-Kivu, a déclaré que Ntaganda ne sera pas livré en raison du rôle qu’il joue dans la pacification de la région.
La Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO), dont certains militants espèrent qu’elle pourra fournir une assistance à un effort en vue de l’arrestation, a pris ses distances. Selon le porte-parole de la MONUSCO, Madnodje Mounoubai cité par Radio Okapi « la MONUSCO n’a aucune idée sur l’arrestation de Bosco Ntaganda. Elle n’est pas impliqué, ni directement ni indirectement. »
Malgré la résistance purement rhétorique du gouvernement et le manque d’enthousiasme de la MONUSCO pour des mesures pratiques, la communauté tutsie du Nord-Kivu a vivement réagi aux appels à l’arrestation de Ntaganda. Dans une lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU, six dirigeants de la communauté tutsie ont exprimé leurs préoccupations concernant l’arrestation de Ntaganda et ce qui, d’après eux, constituait une extension de la culpabilité présumée de Ntaganda à toute la communauté. La lettre exprime la crainte de la communauté que l’arrestation de Ntaganda puisse avoir des conséquences négatives pour l’ensemble de la communauté.
Dans le même temps, un certain nombre d’officiers rwandophones de l’armée congolaise, y compris des membres du mouvement de Ntaganda, le CNDP, ont déserté de l’armée. Bien que les détails restent flous, il est possible que 600 d’entre eux aient quitté leur poste. Certains ont interprété les désertions comme « une simple démonstration de force de la part de Ntaganda et non pas une nouvelle rébellion. »
Néanmoins, l’événement a suscité une réaction énergique de Kinshasa avec la mise aux arrêts par les forces gouvernementales de quelques-uns des déserteurs. Le Président Kabila s’est ensuite rendu à Goma en annonçant qu’il allait démanteler les structures militaires Amani Leo – le cadre dans lequel les unités de Ntaganda ont collaboré pour des actions contre les rebelles des Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Kabila a ensuite très publiquement mis à l’ordre du jour l’arrestation de Ntaganda, tout en ayant cependant l’air de s’interroger sur le rôle de la CPI. « Nous pouvons arrêter [Ntaganda] nous-mêmes parce que nous avons 1000 raisons de l’arrêter et de le juger ici, au pays … les crimes que Bosco Ntaganda a commis dans le pays ne nécessitent pas son transfert à la CPI. »
Cependant, les militants ont exprimé leur scepticisme quant à la signification de cette annonce. Selon l’un d’entre eux, « Nous attendons des actes. Jusqu’à présent, cette annonce ne fait que créer la confusion » Un autre a affirmé qu’il ne croyait pas « que le Président allait jamais le livrer -jamais … Il essaie juste de faire taire les ONG et la communauté internationale »
Il semblerait que le gouvernement ait essayé de marcher sur une corde raide, en essayant à la fois d’affirmer son autorité vis-à-vis d’un Ntaganda rebelle et aussi par rapport à son pouvoir de décision souveraine face à la pression de la communauté internationale.
Dans ce contexte tendu, une stratégie d’arrestation mal exécutée pourrait avoir des conséquences négatives pour la sécurité dans la région et rendre les civils plus vulnérables. Certains observateurs ont suggéré que la communauté internationale se penche sur la façon de tirer parti de la dynamique régionale en vue d’assurer une arrestation. Selon un militant, « L’arrestation de Bosco peut répondre à la même logique que celle qui a permis la neutralisation de Laurent Nkunda en 2009, qui a exigé la coopération du Rwanda et de la RDC. »
Pendant ce temps, Ntaganda est toujours en liberté et montre qu’il est toujours une force avec qui il faut compter. Le journal congolais Le Potentiel a spéculé qu’il est en train de fomenter une nouvelle rébellion dans l’Ituri. Le 30 avril, il a été signalé que deux villes dans l’Est du Congo étaient tombées entre les mains de troupes fidèles à Ntaganda.
C’est nul
Commentaire par Julie — 18 Mai 2012 @ 08:29
[…] relaté dans un précédent blog divers acteurs et ONG internationaux ont insisté pour que Ntaganda soit arrêté. Ils ont été […]
Pingback par Est-ce que les allégeances ethniques vont protéger Bosco Ntaganda? « Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale — 9 August 2012 @ 08:07