Un juge de la Cour pénale internationale (CPI), qui fait l’objet d’une demande de récusation par les avocats de M. Lubanga, a déclaré que la Présidence de la Cour avait enfreint le règlement de la CPI en admettant par erreur des éléments de preuve et en lui déniant le droit d’y répondre.
Les juges réunis en plénière avaient prévu de se rencontrer aujourd’hui pour se prononcer sur un appel déposé en avril dernier par M. Lubanga, qui estime que le juge Marc Perrin de Brichambaut a montré des signes de partialité lorsqu’il s’est exprimé sur des questions qui faisaient l’objet d’une procédure. Les commentaires concernaient le nombre de victimes impliquées dans le processus de réparation, les méthodes utilisées pour identifier les bénéficiaires et les conséquences que pourrait avoir sur les victimes la libération de M. Lubanga après qu’il ait purgé sa peine.
Dans ses observations déposées auprès de la Présidence vendredi dernier, le juge Brichambaut a déclaré que la décision d’admettre un élément de preuve violait les principes d’équité fondamentaux, qui s’appliquent à toute procédure judiciaire. « La présente procédure pâtit de graves vices de procédure et est entachée par ceux-ci » a-t-il indiqué, ajoutant que, par conséquent, la décision de la Présidence du 11 juin 2019 « devait être frappée de nullité et l’élément de preuve introduit et admis par le biais de cette décision ne devrait pas être examiné par les juges réunis en plénière ».
L’élément de preuve contesté est une vidéo du juge Brichambaut donnant une conférence à l’université de Beijing en mai 2017 lors de laquelle il fait les déclarations que les avocats de M. Lubanga remettent en cause. La défense a soumis la preuve audiovisuelle jeudi dernier. La Présidence a autorisé son admission « afin d’avoir un dossier complet avant que les juges ne se réunissent en plénière ».
Dans ses « observations additionnelles » soumises le 14 juin, le juge Brichambaut indique que de nombreux juges de la CPI consultés par la Cour ont déclaré que la « pratique constante » de la Cour était de limiter l’examen des juges réunis en plénière à la demande de récusation et à la réponse du juge en question. Admettre un élément de preuve additionnel par le biais d’une demande en réplique « altérait fondamentalement ce mode de conduite bien établi pour ce type de procédure », a-t-il déclaré mais la Présidence n’a fourni aucune justification pour s’être écartée de la pratique habituelle.
Il a précisé que la Présidence allait à l’encontre de la notion d’équité, puisqu’elle aurait pu avoir l’opportunité de remettre en cause la preuve introduite et répondre à la demande en réplique de la défense. Cette décision, par conséquent, contrevenait à l’article 74(2) du Statut de Rome qui prévoit qu’une décision doit être basée « exclusivement sur les preuves produites et examinées au procès ».
M. Brichambaut a expliqué : « il a toujours été entendu que le mot ‘discuté’ signifie que toutes les parties ont eu l’occasion de déposer leurs observations sur les preuves. Ce principe d’égalité des armes entre les parties est largement considéré comme un élément fondamental du droit à une procédure régulière, y compris pour les tribunaux pénaux internationaux ».
De plus, le juge Brichambaut a soutenu que l’article 41(2) du Règlement de procédure et de preuve de la Cour, que la Présidence a invoqué, ne prévoyait pas de réponse ou l’admission de preuves supplémentaires. Selon lui, cette règle suggère que, lorsqu’une demande ou un élément de preuve sont soumis, aucune autre observation ne peut être faite à l’exception de celles du juge en question.
Le juge Brichambaut a également estimé que, même si le règlement de la Cour permettait la présentation d’éléments de preuve, l’enregistrement vidéo présenté par M. Lubanga aurait dû être rejeté puisqu’il ne répondait aux exigences de la Cour. Cela résulte du fait que la vidéo n’est pas récente et que M. Lubanga, en ne la présentant pas immédiatement aux juges réunis en plénière dès qu’il a en eu connaissance, a perdu son droit de l’invoquer.
Il a attiré l’attention sur le fait que, puisque les juges sont chargés de faire respecter le droit et garantissent un procès équitable, ils pourraient également souhaiter prendre en compte les conséquences potentielles des normes établies par la Présidence pour les procédures présentes et à venir relatives à la récusation d’un juge. « Il n’est pas de l’intérêt de la Cour d’ouvrir la voie à un harcèlement systématique des juges conduisant à l’allongement des procédures et à des débats sur les éléments de preuve ».